Dans ce nouvel article j’aborde la notion d’innovation sociale et le lien que l’on peut faire avec la philosophie. Les innovations dîtes « sociales » ont souvent des impacts positifs sur le lien social, ou plus largement sur la qualité de vie de l’humain, son environnement économique, son travail, sa culture ou encore la préservation de notre planète. Tant de thématiques que l’ont retrouve dans des ouvrages philosophiques.
« L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits » et « en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers » selon le conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire (CSESS).
Par exemple, certaines organisations ont pensé des habitats nomades pour répondre aux urgences sociales, ou encore utilisent le numérique pour contrer l'isolement des personnes âgées, ou bien ont instauré l'arrondi en caisse pour financer des actions de solidarité, ou bien ont créé des modèles mutualistes ou coopératifs.
Les innovations sociales sont orientées vers l’expérience des utilisateurs et elles symbolisent souvent une rupture de croyance dans la façon de penser et d’agir. « Elles représentent une discontinuité par rapport aux solutions généralement apportées et apportent une réponse créative à des problèmes d’ordre économique et social » selon la revue Socioéco.
Les projets portant une innovation sociale sont pensés souvent collectivement avec in fine une dimension inclusive dans un environnement social, économique, entrepreneurial, écologique et humain. La proposition doit générer des effets positifs durables et accessibles sur son écosystème et être porteuse de sens. Et ce, dans le but d’accompagner, de massifier, de démocratiser des pratiques émergentes ou de changer les pratiques habituelles pour obtenir un impact positif sociétal et humain.
L’organisation portant l’innovation sociale doit intégrer dans son ADN sa volonté d’impacter positivement le tissu social, économique ou environnemental. Elle peut l’écrire explicitement dans l'objet social, les statuts, le pacte d'actionnaire par exemple.
C’est ici que je souhaite faire une transition vers la philosophie qui regroupe des clés pour comprendre notre monde, le comprendre d’une autre manière à l’heure de notre période post-moderne. La philosophie peut nous donner un éclairage différent pour identifier et comprendre les « besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits » des individus pour apporter des solutions à impact.
Les représentations du monde changent. Nos croyances, nos pratiques, nos cadres cognitifs et intellectuels doivent évoluer pour accompagner les ruptures sociétales émergentes. Que ce soit dans la sphère politique, financière, économique, celle du monde du travail, de l’éducation, de la santé ou encore les transitions générationnelles nos cadres de références changent. Pour accompagner ces changements, le plus difficile sera de réinventer nos outils et nos méthodes, concourant à coconstruire l’avenir. J’invite donc là les organisations à intégrer la philosophie dans leurs méthodes d’innovation afin de penser autrement au profit de projet porteur d’une vision sociétale.
Ce que je peux observer dans la société actuelle c’est que la valeur ajouté « économique » créée par une entreprise par exemple ne suffit plus à motiver de nouveaux projets, des innovations. Créer plus, lancer une amélioration ne fait plus vraiment sens que ce soit pour des financeurs ou des consommateurs. L'heure du « toujours plus » est en déclin. C’est désormais l’impact sociétal du projet qui fait la différence, qui convainc les individus. Les prises de conscience sur le fait que le fonctionnement actuel de nos sociétés occidentales n’est pas pérenne sont nombreuses. L’impact social, l’humain, la proximité, l’altérité, la préservation de l’Homme et de son environnement sont motifs de nouveaux projets, de nouvelles réponses à des besoins non ou mal satisfaits, devant la productivité et la rentabilité à court terme.
Comme dirait Dominique Méda, philosophe et sociologue, nous sommes entrés dans « le nouveau paradigme du prendre soin vs le paradigme de l’exploitation des ressources et de la conquête ». Nos institutions, collectivités, entreprises, associations, fondations sont des acteurs concourant à la diffusion de ce nouveau paradigme.
D’un point de vue sociologique, les individus tendent à s’extraire du productivisme, symbole de l’ancienne période moderne pour s’interroger sur leur propre leitmotiv, leur propre cause, leur raison d’être, et ils veulent se donner l’opportunité de concourir à une construction individuelle et collective de nouvelles normes donnant lieu à un épanouissement global.
Les individus se questionnent, notamment les nouvelles générations. Elles remettent en question certains diktats, ce qui est symptomatique d’un renouveau. Prenons l’exemple de l’orientation scolaire, selon Marie Robert, Philosophe et créatrice d’écoles Montessori, la question de l’orientation pour des lycéens et étudiants peut paraitre complètement désuète, « it’s not a big deal » pour eux, car ils savent à l’instant présent, que de nombreuses choses et péripéties impacteront leurs chemins de vie, qu’ils vont potentiellement occuper une multitude de postes différents, des métiers différents, cumulés ou fractionné, et ils pourront enchainer plusieurs statuts différents (salarié, freelance, bénévole, associé etc.). La place du « métier » n’est plus la même qu’il y a 10, 20, 50 ans. Tout comme le rapport à l’argent a évolué. La place des projets personnels, sociaux, sportifs, associatifs, artistiques, etc. prend de plus en plus d’importance dans nos vies. Le rapport au temps change, les individus pour certains ont pris conscience de l’accélération croissant de nos rythmes de vie et ne veulent plus attendre leur retraite pour « prendre le temps ». Le temps peut-être privilégié face à l’argent. Carlos Moreno, scientifique et professeur des universités, nous dit « voilà devenus prisonniers de la cadence de l’horloge qui marque le pas de la vie urbaine, avec ses obligations entraînant des accélérations quasi permanentes ».
Une étude de la Tribune TV, a enquêté sur plusieurs thématiques fondamentales auprès 1000 jeunes de 18 à 29 ans. Ils estiment être une génération sacrifiée, à 62 % optimiste et acteur de la transformation actuelle. À la question, quels sont vos objectifs de vie, vos critères pour être heureux ?
· Le premier critère à 62 % est d’avoir une famille heureuse, le paradigme du CARE se traduit ici.
· Le deuxième critère 42 % souhaitent avoir du temps libre
· L’avant-dernier critère : 32 % souhaitent avoir de l’argent
· Le dernier critère : 24 % souhaitent avoir une belle carrière professionnelle
Comme je l’évoquais au début de l’article, nos cadres cognitifs changent, nos mindsets changent, les moments de la vie perso et du travail sont intégrés dans un même espace-temps. Ces jeunes demandent à travailler pour l’intérêt général et pour un monde meilleur, ils demandent à vivre au travail, alors que pour d'autres individus la vie commence après le travail.
Au début de la carrière professionnelle, ou bien même après quelques années en entreprise, des individus se heurtent souvent à des croyances et pratiques pyramidales, « à la papa » au sein des entreprises. Une désillusion ou une remise en question de son rôle, de sa place se fait ressentir. Et là, l’innovation sociale incarnée par l’organisation qui la porte, peut donner du sens. Elle peut remettre l’Humain au centre, quel que soit son âge. Cela répondrait au besoin non satisfait d’accompagner dans ce Momentum les individus vers une empathie universelle, pour que chacun puisse identifier ses sources d’épanouissement propres et collectives.
Les organisations quelle que soit leur forme doivent s’emparer de ces « insights », ces besoins pour orienter leurs décisions stratégiques et se projeter à moyen / long terme, si elles ne veulent pas se trouver en décalage entre leur vision interne et celle de leurs employés ou des utilisateurs finaux.
Les moments de crises peuvent réveiller des prises de conscience, accélérer les changements, faire bouger les besoins utilisateurs plus rapidement. Des injonctions sociales s'imposent souvent inconsciemment et alors qu’elles ne font pas partie de nos propres objectifs de vie. D’où l’intérêt de se questionner sur nos propres objectifs de vie : « qui je veux être demain ? » « Quels sont mes objectifs à moyen et long terme ? » et de les mettre en résonance avec les injections, les pressions, les normes sociales ou organisationnelles ressenties au sein de nos organisations et de notre société.
Le questionnement du sens se généralise. Le fait de faire plus attention à soi et à l’autre prend de plus en plus de place, la recherche de son propre alignement tête-cœur-corps émerge. Un microcosme croissant d’individus laisse de côté le pilotage automatique du quotidien et les injonctions pour oser se questionner sur : quel est mon sens, ma raison d’être ? ; quel est le rôle des institutions qui gravitent autour de moi ? ; quel héritage, quel monde vais-je laisser à mes enfants ?
Une notion d’engagement se diffuse de plus en plus que ce soit dans les sphères économiques, financières, sociales, écologiques et humaines. Chacun, personne physique comme personne morale a le devoir de (re) prendre la « pleine conscience » de ce que nous sommes en train de vivre. Nous avons la responsabilité de ce que nous vivons. Un temps d’ancrage, de « pause », d’observation et mais aussi de créativité sur soi ou son entreprise est nécessaire. Un temps d’observation de ses expériences, ses émotions est nécessaire pour définir et se mettre en mouvement vers son propre alignement.
Selon Marie Robert, un temps d’introspection profond, l’acceptation d’être perdue à un moment donné, le fait de se questionner sont nécessaires et sains pour ensuite passer à l’action avec une vision claire.
Et chacun à notre échelle, individu ou organisation, nous pourrions impulser quelques innovations sociales individuelles ou collectives en vue de participer à de nouveaux récits sociétaux porteurs de sens.
En guise de conclusion je vous invite en ce début d’année à un temps d’introspection que ce soit pour vous ou votre entreprise, pour ensuite passer à l’action vers votre raison d’être, peut-être même vers votre innovation sociale. Et je vous partage une citation du philosophe Jean Baudrillard « il faut vivre en intelligence avec le système, mais en révolte contre ses conséquences, il faut vivre avec l’idée que nous avons survécu au pire ».