Le travail collaboratif pluridisciplinaire constitue une opportunité énorme d’impacter positivement notre futur. Le mélange de nos expertises représente un champ de réflexion illimité, engendre une démarche systémique, holistique qui permet de susciter de nouveaux usages, de nouvelles expériences, de nouvelles émotions, des innovations sensées, bref de créer de nouvelles situations positives d’être au monde.
La transformation digitale et la révolution anthropologique de la société entraînent une robotisation de notre travail et une quête de sens effrénée. Les changements de mentalités, de valeurs et les nouvelles pratiques plus responsables qui émergent, bouleversent nos organisations, politiques, religieuses et économiques. Elles font face à un nouvel enjeu : cultiver l’intelligence émotionnelle, la pensée critique et la créativité.
Que l’on soit designers, stratèges, marketeurs, ingénieurs, développeur, sociologues, futurologues ou autre, les organisations doivent nous laisser le temps d’écouter, analyser, créer grâce à :
- l’empathie client, connaître son utilisateur dans son milieu naturel (comportement, attitudes, attentes, motivations, freins, interactions), in situ et exploiter cette analyse à différentes échelles ; macro-sociale, méso-sociale et micro sociale ou individuelle (Desjeux 2004).
- la pensée divergente, pour construire une organisation évolutive, apprenante orientée vers le futur et au-delà des évolutions technologiques, aller vers l’innovation que j’appelle sensée, c’est-à-dire à impacts positifs pour l’utilisateur, la planète et les futures générations.
- un collectif d’esprits créatifs, pour porter et déployer ces nouveaux de projets, ces nouveaux récits
Les parties prenantes des processus d’idéation, conception, développement, doivent prendre en compte les conséquences de l’acte de créer et de modifier. C’est sur ce thème que j’ai interviewé May-Line Grassi, designer, passionnée par l’innovation et exploratrice du Design Fiction. May-Line apporte une vision nouvelle et très pertinente en alliant design fiction, éthique et responsabilité de créer.
Selon moi, le design fiction est une des démarches existantes porteuses de sens qui permet d’explorer, de concevoir et de déployer des concepts en alignant : besoins des utilisateurs, proposition de valeur, expérience vécue, et enfin bénéfices perçus. L’acte de créer, plus que jamais doit être drivé par l’éthique et par les impacts positifs véhiculés sur l’Homme et la planète.
Nous pouvons définir le design fiction comme une démarche permettant d’imaginer des hypothèses entre fiction et innovation afin de constater au préalable les impacts positifs comme négatifs de la solution imaginée. Et grâce à la vision de May-Line, c'est aussi un moyen de penser des innovations éthiques et responsables. Alors pour ce faire soyons curieux, osons voir large et loin, tirons parti des surprises, expérimentons, itérons, pour imaginer et déployer de nouveaux concepts vecteurs de sens.
Vous trouverez ci-dessous l’interview au complet ! Avec en introduction une illustration de May-Line qui décrit bien la démarche du design fiction.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans le Design Fiction ?
May-Line : « Plus qu’une méthode, le design fiction est un état d’esprit particulier, une capacité à s’imaginer de nouveaux scénarios en laissant libre court à sa créativité. Cela passe ensuite par une mise en scène de ces scénarios qui mobilise des codes communs pour se projeter dans un avenir « croyable » sans aucune contrainte technique ou de faisabilité. Par exemple si le scénario traite de la création d’une nouvelle loi, il faudra mobiliser des objets ou des représentations du champ légal : un arrêté écrit, un article publié sur le site du gouvernement, une conférence de presse, un discours ou interview d'un membre du gouvernement sur une chaîne d'information, etc. La frontière entre le réel et la fiction devient fine et suscite le doute. Les designers sont indispensables pour matérialiser les futurs imaginés, mais il n’est pas rare de travailler avec des romanciers, des écrivains, des journalistes ou même des comédiens pour que la mise en scène soit le plus « croyable » possible. »
Le design fiction permet donc de se projeter immédiatement dans une situation post-lancement, dans un futur dans lequel le produit est intégré et adopté, pour se rendre compte des impacts induits par le concept imaginé. Cette méthode permet de détecter les incohérences, les défauts, les points d’amélioration à corriger. Le design fiction est une pépite pour tous les créatifs, c’est un moyen de créer de meilleures innovations plus efficacement, plus rapidement grâce à la mise en scène qui reproduit les conditions réelles du monde de demain.
Quelle est le rôle des phases d’immersion, d’exploration des comportements des utilisateurs / clients ?
May-Line : « Les phases d’immersion, les analyses qualitatives, sociologiques des individus sont indispensables en design thinking car elles nous permettent de détecter des besoins, des tensions, mais elles pourraient être associées au Design fiction pour identifier certains codes, étudier des imaginaires de façon plus profonde. Ce serait d’autant plus important pour interpréter des scénarios décalés, notamment lorsque l’on travaille sur des cultures différentes de la nôtre, des thématiques éloignées où l’on doit s’approprier de nouvelles connaissances et de nouveaux codes. »
Comment est-ce que « Imaginer et maquetter des futurs plausibles car fondés sur des réalités, facilement croyables, pour faire réagir. » permet d’inventer des biens et services plus éthiques ?
May-Line : « Pour moi, l’éthique intervient dans le fait que le ou les créateurs des scénarios prennent conscience directement des conséquences du produit ou service imaginé, ce n’est pas un test fonctionnel : le concepteur devient acteur et réalise par lui-même les impacts causés par ce qu’il a imaginé. En pensant impacts, conséquences tu peux prendre du recul et tu te rends compte des dérives potentielles car le design fiction fait appel aux émotions à la fois des créateurs eux-même mais aussi de l’audience, ou du client si c’est externalisé par une agence. Ce qui est intéressant c’est la projection des conséquences sur la vie sociale, l’économie, l’environnement, la société au global, et si elles sont négatives, le design fiction a le pouvoir de mettre le doigt dessus pour penser autrement. »
Les design fiction est un moyen d’améliorer très en amont le concept en pensant à l’avance à des alternatives pour impacter positivement, éthiquement notre environnement, et j’ai même envie de dire l’héritage que nous allons laisser à nos enfants.
A la fin de notre interview, nous tombons d’accord sur un point : prospective et design fiction sont donc liés, la prospective permet de poser une stratégie, le design fiction permet de la matérialiser, de rendre immersif la réflexion prospectiviste, notamment pour générer des émotions et ouvrir le débat qui servira à la prise de décision des équipes dirigeante.
Se rendre compte de son impact en tant que créateur, permet de remettre du sens dans ses stratégies et ses choix. La pensée créative peut être un levier de responsabilisation. Impulser l’empathie utilisateur, porter le sens et l’éthique au sein des équipes dirigeantes est désormais une mission.
Et pour aller encore plus loin dans les méthodes de recherche créative je vous encourage à vous intéresser au Magical Thinking, lancé par Fanny Parise : une démarche qui s’appuie sur l’anthropologie pour apporter un éclairage nouveau sur notre réalité, et l’écriture de nouveaux récits pour notre futur.
Comentários